IntroductionCette introduction présente trois aspects de ce livre : son objet, la méthode retenue, et la forme. ObjetL'objet de ce livre est de proposer un modèle de société compatible avec les aspirations des hommes du XXIᵉ siècle. Au XVIIᵉ siècle est née la science moderne, à savoir le trio expérimentation, publicité des résultats et conclusions avec description précise des conditions expérimentales, vérification et critique par tous. Cela a induit à partir du XIXᵉ siècle un bond technologique sans précédent dans l'histoire de l'humanité, qui a bouleversé notre rapport à la nature : nous avons acquis grâce à notre savoir-faire technique la capacité de nous protéger du plus grand fléau qui était la famine, ainsi que de faire littéralement exploser la productivité du travail dans de nombreuses activités. D'un système avant le XVIIᵉ siècle où le pouvoir était principalement aristocratique, la révolution scientifique et technologique a fait partout glisser le pouvoir vers le capital. C'est ce que Marx décrit, et il annonce que le peuple doit inéluctablement reprendre le pouvoir pour contrer les effets pervers liés à ce glissement. Disons le simplement : la grande force de Marx, c'est d'avoir analysé avec précision la nature et la mécanique de la perversion du système capitaliste, là où Zola et les autres romanciers réalistes se contentaient d'en décrire les effets. La grande faiblesse de Marx, c'est d'avoir amené à penser qu'il suffisait de renverser le système pour que le problème soit résolu. Or l'histoire nous montre régulièrement que renverser sans planifier précisément ce qui vient après, est très aléatoire. Nous ne nous avancerons pas concernant le fait de savoir si Marx avait conscience ou non des limites de son travail, mais le sujet de ce livre est bien d'aller jusqu'à proposer un système d'organisation sociale complet et cohérent, adapté aux nouvelles capacités que la révolution scientifique et technologique a fourni aux humains. MéthodePour atteindre cet objectif, nous avons composé ce livre en trois parties : La première partie, constituée des chapitres 1 à 7, reprend l'analyse de Marx et la réactualise à la lumière des apports ultérieurs de l'histoire et des sciences sociales. La deuxième partie, constituée des chapitres 8 à 12, décrit le cœur du système d'organisation proposé, à savoir comment organiser la production, en justifiant chaque point par son lien avec les éléments de la première partie. Enfin, la troisième partie, constituée des chapitres 13 à 22, aborde toute une série de transformations à apporter dans des domaines connexes pour assurer la cohérence, et donc la viabilité de l'ensemble. La deuxième partie montre immédiatement que nous avons fait le choix d'une solution collective, dans la tradition des penseurs des lumières, puis de Marx, et par opposition à Krishnamurti qui préconisait une libération individuelle. Cela ne signifie en rien que nous considérons que la solution individuelle ne soit pas valable, mais nous considérons qu'elle ne concerne qu'une minorité, donc n'est pas de nature à nous permettre d'apprivoiser la puissance issue des révolutions technologiques de ces derniers siècles dans un délai raisonnable permettant d'éviter une ultime catastrophe écologique ou militaire. Au niveau méthodologique, cet ouvrage repose sur deux piliers. Le premier, c'est de commencer par bien comprendre ce qu'est la nature humaine, par opposition à ce que l'on aimerait qu'elle soit. Le second, c'est le recoupement des thèmes pour bien évaluer sous tous les angles la robustesse du système proposé. C'est là qu'intervient notre second pilier méthodologique, à savoir la troisième partie, qui vise à sécuriser la proposition par l'importance des recoupements. Il s'agit là de la seconde singularité de cet ouvrage, à savoir ne pas traiter en profondeur, comme cela se fait habituellement, un seul aspect de la vie sociale, par exemple la justice. Ainsi nous proposerons une organisation générale qui couvre toutes les grandes lignes, et dont la justification est liée non seulement à l'origine scientifique des bases qui nous ont servi à poser notre vision de la nature humaine dans la première partie, mais aussi à la cohérence de l'ensemble. Pour expliquer cette démarche de recoupement, nous citerons Jean-Marie Guyau dans Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction : « La vérité n’est pas seulement ce qu’on sent ou ce qu’on voit, c’est ce qu’on explique, ce qu’on relie. La vérité est une synthèse : c’est ce qui la distingue de la sensation, du fait brut ; elle est un faisceau de faits. Elle ne tire pas son évidence et sa preuve d’un simple état de conscience, mais de l’ensemble des phénomènes qui se tiennent et se soutiennent l’un l’autre. Une pierre ne fait pas une voûte, ni deux pierres, ni trois ; il les faut toutes ; il faut qu’elles s’appuient l’une sur l’autre ; même la voûte construite, arrachez-en quelques pierres, et tout s’écroulera : la vérité est ainsi elle consiste dans une solidarité de toutes choses. » Nous compléterons cette explication méthodologique au début de la troisième partie. Enfin, le choix de prendre comme point de départ Marx est le résultat de deux constatations : d'une part Marx ne se contente pas de dénoncer la misère sociale, mais il effectue une analyse approfondie des causes, qui reste largement pertinente pour comprendre la situation actuelle ; d'autre part, les remèdes qu'il suggère sont ceux qui ont conduit au système occidental actuel, à savoir la social-démocratie. Encore faut-il pour comprendre cela se défaire de l'imaginaire collectif, issu de l'affrontement idéologique de la guerre froide, qui réduit Marx au marxisme, c'est-à-dire la prise de pouvoir par le prolétariat et la collectivisation des moyens de production en application du Manifeste du parti communiste dont il est coauteur avec Engels. Or l'œuvre de Marx ne se réduit pas à ce pamphlet. Son ouvrage majeur, auquel nous nous référons ici, c'est Le Capital, qui non seulement fournit une analyse des causes beaucoup plus approfondie, mais aussi pose les grandes lignes des solutions de régulation plus modérées qui seront mises en œuvre en Occident au XXᵉ siècle, à savoir l'éducation obligatoire et le code du travail. FormeConcernant la forme maintenant, en filant la métaphore architecturale de Jean-Marie Guyau, nous souhaiterions que ce livre soit lu comme une cathédrale. En effet, le visiteur d'une cathédrale qui se contenterait de porter son attention sur l'esthétique de chaque pierre, l'une après l'autre, au lieu de se concentrer sur la structure d'ensemble, risque fort de repartir très déçu. Il en va de même de ce livre : le lecteur qui se contenterait de porter son attention sur le style de chaque phrase, au lieu de chercher à voir la structure d'ensemble, risque fort d'être pareillement déçu. Juste un dernier avertissement avant de commencer. L'autre spécificité stylistique de ce livre, c'est sa densité. Certains concepts, qui auraient pu justifier à eux seul tout un livre sont traités ici en moins d'une page, donc pour en tirer le meilleur parti, il convient de réduire considérablement sa vitesse de lecture.
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