Chapitre 18
L'Europe
L'Europe a été construite sur une impulsion initiale qui était de s'unir pour éviter les guerres futures. Le problème, c'est que l'on s'est satisfait béatement de ce noble dessein initial, et que l'on a oublié de prévoir le long terme, c'est-à-dire la relève une fois que le souvenir de la guerre se serait estompé.
Aujourd'hui, l'Europe des États-nations est une Europe du marchandage dans laquelle il y a peu de de place pour la solidarité. Elle est donc fondamentalement incompatible avec le fait de répondre à la problématique de Marx de mettre le progrès au service du plus grand nombre, et de fait, de répondre à l'attente morale des peuples.
Or paradoxalement, les attentes morales restent la motivation principale vis-à-vis de la construction européenne. En effet, les Français par exemple n'éprouvent pas une envie particulière à se "réunifier" avec les Allemands ou les Espagnols. Donc pour redémarrer, la construction européenne a besoin d'un projet social suffisamment progressiste pour que ceux qui le mettent en œuvre puissent fièrement dire à leurs descendants : nous l'avons fait. En ce sens, c'est tout ce livre qui traite de la construction de l'Europe sociale, et pas seulement ce chapitre. À l'inverse, vouloir construire une Europe de gauche sur les bases de la régulation du capitalisme par la loi comme envisagé par Marx dans Le Capital, et pratiqué par la plupart des États européens, et par les institutions européennes actuelles, est illusoire et donc dangereux. En effet, cela ne marche pas bien pour trois raisons. D'une part parce que comme nous l'avons vu au début de ce livre, la régulation du capitalisme par la loi qu'avait envisagé Marx dans Le Capital est insuffisante. D'autre part, les disparités législatives entre États sont un puissant outil pour entraver cette régulation, donc il faudrait procéder à l'uniformisation avant de pouvoir envisager la construction de l'Europe sociale, donc ne pas faire grand chose pendant des décennies. Enfin, il n'existe pas vraiment de syndicalisme européen. Tout ceci conduit en pratique à une Europe plus à droite que les États, donc à un rejet par les peuples de l'Europe qui n'y trouvent pas un système moralement à la hauteur de leurs aspirations, avec au final la montée des populistes anti-européens. Dit plus simplement, l'Europe ne peut se construire qu'en étant moralement plus satisfaisante que les États-nations qu'elle supplante, et cela implique d'apporter comme le fait ce livre une réponse qui va au-delà de la simple réactualisation des vieilles recettes.
Précisons aussi qu'il n'y aura pas d'intégration effective sans émergence d'une culture commune, c'est-à-dire dans la pratique d'une langue commune. Ceci impose de fait l'Esperanto comme unique langue officielle européenne, ainsi que son enseignement obligatoire en tant que première langue étrangère dans tous les États membres. Erasmus, c'est bien, mais cela crée un lien pour une petite minorité des citoyens européens, avec un seul des autres États membres, donc c'est insuffisant pour faire vivre une démocratie européenne.
En résumé, il existe trois Europes, l'économique, la sociale et la culturelle. La sociale suppose une nouvelle proposition comme le fait ce livre. La culturelle suppose une langue commune.
Le dernier point important pour faire progresser la construction européenne, c'est de mettre à profit les différences culturelles actuelles pour lutter contre la corruption via l'intervention dans chaque pays de personnes d'autres pays. Or c'est assez facile à mettre en place dans le cas des organisations, et plus précisément au niveau du contrôle opérationnel décrit au chapitre 11. Les "50% autres" que nous avions envisagé au niveau de la typologie des personnes impliquées dans le contrôle peuvent fort bien contenir des membres d'autres pays, régulièrement quand il s'agit d'organisations dont l'activité est fortement structurante, plus sporadiquement pour les autres organisations pour lesquelles cela permet de faire circuler entre pays les bonnes pratiques tout en limitant le risque du "c'est pas bien, mais cela s'est toujours fait comme cela".