Chapitre 10
Le journal des réflexions stratégiques

Ce chapitre est assez court, car il constitue un peu l'œil du cyclone de ce livre. D'une certaine manière, tous les sujets traités dans les autres chapitres tournent autour du journal des réflexions stratégiques, qui est la clé de voûte du système que nous proposons. Or, nous avons choisi de ne pas répéter ici ce qui a été vu dans les autres chapitres, et de ce fait, ce chapitre au centre du livre n'est pas compréhensible sans avoir lu l'ensemble.

Fonctionnement du journal des réflexions stratégiques

Contenu

Chaque entrée du journal des réflexions stratégiques indique :
Qui, Quand, Quelle question stratégique est posée.
Vient ensuite la description motivée des moyens alloués pour répondre à la question.
Puis, le contenu de l'étude elle même, avec sa partie analyse, puis ses conclusions et recommandations.
Enfin, le compte rendu de la mise en œuvre des conclusions.
Et éventuellement, en supplément, l'évaluation méthodologique de la qualité de l'étude.

Voici quelques exemples de questions stratégiques :
Nos locaux sont mal adaptés et générateurs de problèmes récurrents, devrions nous déménager ou engager des travaux, lesquels ?
Devrions nous changer notre système informatique qui pose tel et tel problème récurrent ?
Nous devenons trop gros, devrions nous sous-traiter une partie de notre activité, laquelle, ou devrions nous nous scinder, comment ?
Pour une organisation chargée du développement régional :
Comment assurer notre indépendance sur l'ensemble des produits alimentaires de base ?
Effectuer un bilan de notre circuit des déchets. Quelles transformations apporter au niveau de la production et de la distribution pour limiter leur production à la source ?
Étudier le parcours particulier de quelques jeunes en décrochage social. Est-ce que l'accompagnement qui s'est mis en place est adapté ?

Création d'une entrée

N'importe quelle personne de l'organisation peut décider d'ouvrir une nouvelle entrée dans le journal des réflexions stratégiques, pour soumettre une question.
De surcroît, le président a la responsabilité d'effectuer périodiquement des sondages dans le journal des problèmes, pour déterminer les sujets récurrents, et éventuellement en déduire des questions stratégiques qui permettraient de traiter ces problèmes avec plus de hauteur, de moyens, et donc de pertinence.
Nous avons aussi vu au chapitre précédent, qu'un désaccord au niveau des personnes impliquées dans la solution d'une entrée du journal des problèmes, conduira souvent à créer une entrée dans le journal des réflexions stratégiques, pour mener l'étude qui arbitrera le désaccord.
Enfin, nous le verrons au prochain chapitre, les auditeurs effectuant un contrôle opérationnel peuvent décider l'ajout de nouvelles entrées au journal des réflexions stratégiques, et éventuellement fixer les moyens d'étude correspondant.

Attribution de moyens

Le président complète la case Moyens alloués de chaque entrée du journal des questions stratégiques, dont il décide le contenu, et précise à qui l'étude est confiée. Ces deux décisions doivent être motivées.
Les personnes impliquées dans l'étude peuvent indifféremment être le président, des membres de l'organisation ou des personnes extérieures. C'est le président qui le décide, et il est tenu de confier cette étude à une ou des personnes dont la cote stratégique est en adéquation avec l'enjeu lié à cette question stratégique. Le président est aussi tenu d'allouer quelques études d'importance moindre à des personnes moins expérimentées, c'est-à-dire avec une cote stratégique plus basse, intérieures et extérieures à l'entreprise, pour permettre à tous les citoyens d'être périodiquement évalués.

Ce point est très important. Dans une société devenue extrêmement complexe, la véritable démocratie ne tient plus au fait que tout le monde vote, parce que l'effort d'étude de la question posée est trop faible pour ne pas être le jouet d'une information ciblée et démagogique utilisant la dissonance cognitive pour pervertir le système. Le Brexit britanique de 2016 en est la parfaite illustration. La véritable démocratie tient au fait que tous les citoyens sont amenés à effectuer périodiquement des études stratégiques dans l'intérêt de tous, et amenés à progressivement démontrer leur capacité à ce niveau. Dit autrement, dans une société très développée technologiquement parlant, le sujet n'est plus tant de protéger la patrie contre les invasions extérieures via des périodes militaires régulières sur le modèle Suisse, que de protéger la société contre le délitement de la confiance, via une implication périodique de tous les citoyens dans le système de décision collectif qui n'est plus extérieur, politique, mais intégré au système de production. La cotation stratégique attribuée à chaque citoyen est le reflet de cette nouvelle organisation du pouvoir de décision.

Déroulement de l'étude

Vient ensuite l'étude signée par un auteur principal, qui engage sa crédibilité, et sera évaluée avec des modalités que nous verrons au chapitre 11, avec pour effet principal de faire évoluer sa cote stratégique.
L'étude se comporte d'une partie analyse, puis d'une partie conclusions et recommandations.
S'y ajoutent obligatoirement une section "Effets globaux, à long terme" et une section "Réduction des futures marges de manœuvre de l'organisation".

Validation

Le président valide les conclusions, ou motive son rejet et attribue de nouveaux moyens pour une nouvelle étude de la même question.

De ce qui précède, on remarque que certaines entrées du journal des réflexions stratégiques, peuvent avoir été créées par le président, allouées à lui par lui, et enfin validées toujours par lui. On a donc le risque d'un président hégémonique.
A long terme, le contre-pouvoir, c'est le contrôle opérationnel qui effectue l'évaluation méthodologique des études stratégiques, dont celles menées par le président lui-même, et peut en cas de manquements importants aller jusqu'à démettre le président.
A court terme, si une personne de l'organisation n'est pas d'accord avec la décision de validation prise par le président, elle peut conduire et proposer une contre-étude conduisant à des recommandations différentes. Bien évidement, cette contre-étude peut ne concerner qu'une partie de l'étude initiale, et les recommandations peuvent être simplement complémentaires ou proposer des ajustements mineurs.
Le président peut tout d'abord décider de valider la contre-étude. En revanche, s'il en rejette le contenu, alors c'est la cotation stratégique qui détermine l'issue. Si la cotation stratégique du président est plus élevée que celle de la personne qui effectue la contre-étude, le rejet est validé. En revanche, si la personne qui effectue la contre-étude a une cotation stratégique plus élevée que celle du président, alors c'est une personne d'une organisation tierce neutre qui effectuera l'arbitrage, c'est à dire qui validera ou non la contre-étude et ses conclusions. Cette tierce personne doit avoir une cotation stratégique au moins égale à celle du président.

Rappelons à ce stade que le président de l'organisation est élu, conformément au scrutin décrit au chapitre 8. Le recours à un arbitrage extérieur que nous venons de décrire correspond donc au cas où deux légitimités s'affrontent : d'un coté, celle du suffrage, de l'autre, celle de la cotation stratégique. Par contre, nous avons pris soin d'éviter le recours au vote pour l'arbitrage, parce que cela favoriserait trop un retour en force du jeu des alliances.
Avec ce mode de validation des décisions, nous favorisons l'émergence de la figure du sage, c'est à dire une personne qui n'est pas forcément très active et très populaire, ne tient pas le rôle de président, mais qui, du fait de sa cotation stratégique élevée liée à sa rigueur de raisonnement progressivement démontrée, peut à n'importe quel moment intervenir et faire changer une décision, pour peu que cette intervention soit validée par une tierce personne extérieure. Nous avons ainsi mis en place un contre-pouvoir efficace vis-à-vis du pouvoir du président, issu du suffrage, et par conséquent vis-à-vis du suffrage lui même.

Mise en œuvre

Une entrée du journal des réflexions stratégiques ayant suivi un déroulement normal se termine par une section de suivi de la mise en œuvre des recommandations, qui sera remplie par le directeur et non par le président.

À l'inverse, une entrée peut être close à tout moment, et dans ce cas on terminera simplement par la date de retrait et la raison. Ce sont le ou les auteurs d'une question stratégique qui peuvent à l'unanimité décider de la clore. La raison peut éventuellement être son remplacement par une nouvelle question stratégique qui peut éventuellement être posée par plus de personnes.

Évaluation ultérieure

La dernière case d'une entrée du journal des réflexions stratégiques est réservée à l'éventuelle évaluation méthodologique ultérieure de cette l'étude, dont nous verrons les modalités plus en détail au chapitre 11. Notons simplement dès à présent qu'au moment où l'étude est évaluée, sont évaluées dans le même temps la qualité des questions du journal des réflexions stratégiques, la pertinence des moyens alloués par le président pour l'étude, ainsi que la qualité de mise œuvre des recommandations au regard de la qualité des conclusions de l'étude.

Restauration des marges de manœuvre

Le président a aussi pour rôle de s'assurer que les décisions prises ne limitent pas trop fortement les futures marges de manœuvre de l'organisation, et de lancer des réflexions stratégiques pour les augmenter autant que possible.
Dit autrement, il ne suffit pas de mener chaque réflexion stratégique correctement du point de vue de la rationalité, comme évoqué à la fin du chapitre 7. Encore faut-il ne pas se laisser enfermer dans une situation où toutes les décisions deviennent dictées par des choix antérieurs qui réduisent à l'excès les marges de manœuvre. Ceci est tout particulièrement vrai concernant le numérique. Il y a donc un travail de fond à mener pour restaurer ces marges, qui doit être organisé par le président. Bien évidement, ce travail a un effet tout aussi significatif sur les solutions applicables au niveau du journal des problèmes.

Effets externes sur l'écosystème

Notons enfin, que certaines organisations ont pour raison d'être de mener des études et prendre des décisions pour le compte de tiers. Dans ce cas, c'est toute leur production qui devra aussi se conformer au formalisme du journal de réflexion stratégique, et ce afin de pouvoir être auditée de manière socialement impartiale.
L'existence de ces organisations s'explique par le fait qu'au chapitre 8, nous avons privilégié des organisations avec un effectif d'une centaine de personnes. Donc dans certains secteurs de la production nécessitant des moyens massifs, certaines organisations auront un rôle de pure coordination de l'activité d'autres organisations sous-traitantes.