Chapitre 20
Les media
Le sujet brûlant du moment concernant les media, c'est comment favoriser une analyse et un raisonnement de qualité par rapport au sensationnel immédiat, c'est-à-dire comment accompagner la bascule vers la raison provoquée par la création des organisations décrites dans la seconde partie de ce livre. En effet, si l'époque des lumières envisageait l'éducation et la liberté de la presse comme les moyens de permettre au citoyen d'accéder au plein exercice de son rôle social, la complexification du monde et l'augmentation des technologies de communications font qu'au niveau des media, il convient de s'intéresser aujourd'hui non seulement à la liberté d'expression, mais aussi à la qualité du discours. Opposer les opinions ne suffit plus. Rappelons de plus que la clé de voûte de notre organisation sociale étant de soumettre régulièrement tous les individus à l'élaboration de raisonnements conduisant à une décision, il apparaît hautement souhaitable que l'environnement médiatique dans lequel ils baignent au quotidien les y prépare.
Une bascule culturelle importante à effectuer, c'est de considérer que les media d'investigation sont devenus un élément social à financer par la collectivité, au même titre que la santé ou l'éducation.
L'autre élément important, c'est de redéfinir les devoirs de la presse dans le système social actuel. Dit simplement, on ne peut pas demander aux hommes politiques classiques d'être le seul rempart vis-à-vis des populistes. La dissonance cognitive nous dit que dans un affrontement direct entre un politique classique et un populiste, les auditeurs auront tendance à opposer les deux présentations proposées de manière symétrique, donc à considérer que la vérité pourrait bien être entre les deux, ce qui fait qu'à force de répétition, le discours populiste devient respectable, et que le populisme peut alors triompher dans les scrutins électoraux. Le débat du second tour de l'élection présidentielle française de 2017 a certes conduit à la défaite du populiste, mais c'est parce que le candidat était moins brillant intellectuellement parlant que son adversaire, donc il serait dangereux de croire que cela se répétera, et donc que cela constitue une barrière efficace.
C'est aux media qu'il incombe d'être le rempart principal vis-à-vis du populisme, en adoptant la règle déontologique suivante, qui doit être sécurisée par la loi pour éviter toute distorsion de concurrence : tout fait rapporté en différé doit être préalablement vérifié, donc en cas d'inexactitude grossière, doit engager la responsabilité du media. Le fait de faire dire le fait par une tierce personne ne suffit pas à décharger le media de cette responsabilité. Pour le direct, si le journaliste sait l'inexactitude du fait, il a le devoir de reprendre la parole immédiatement pour corriger. S'il n'a pas à sa disposition dans l'instant les éléments, il appartient au media de vérifier a posteriori tout ce qui a été diffusé, donc en cas d'inexactitude grossière découverte a posteriori, de diffuser une correction ultérieure qui jouisse d'au moins la même audience que la désinformation initiale. Dans le cas d'un fait inexact rapporté par une personne qui s'exprime régulièrement dans le media, par exemple un homme politique de premier plan, tout direct ultérieur doit être précédé de la rediffusion de la séquence de correction de l'inexactitude précédente.
Dit autrement, on ne peut pas laisser s'imposer dans notre culture des éléments factuellement faux juste par accumulation de répétitions par des groupes malveillants.
La dissonance cognitive nous impose d'aller plus loin encore. Une phrase qui ne véhicule qu'une partie de la réalité, doit être considérée comme grossièrement inexacte dès lors qu'elle est répétée régulièrement alors que les autres parties de la même réalité ne le sont pas dans les mêmes proportions. En effet, cela vise à établir intentionnellement par répétition une distorsion de la réalité. Exemple : « Les immigrés posent des problèmes » qui cache d'autres versants de la même réalité qui sont par exemple « Les immigrés sont bénéfiques pour l'économie car ils occupent le bas de l'échelle sociale et permettent aux locaux d'occuper des postes plus valorisants » ou encore « Les immigrés enrichissent notre culture ».
On ne cherche pas ici à établir un politiquement correct qui viserait à monter en épingle toute maladresse ponctuelle de langage, mais bien d'assigner aux media la responsabilité d'analyser dans son ensemble et dans la durée le discours qu'ils véhiculent, d'y détecter les répétitions intentionnelles d'une réalité tronquée, et d'y mettre fin en les reclassant en faux grossiers chaque fois qu'il sont diffusés hors d'une séquence qui traite l'ensemble de la problématique.